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Qu’en est-il du secret professionnel lorsque l’ergothérapeute est témoin d'un acte de nature criminelle ?

Cet article vise, dans un premier temps, à revoir les fondements du secret professionnel auquel est soumis l’ergothérapeute et, dans un deuxième temps, à faire le point sur cette obligation dans le cas où l’ergothérapeute est témoin d’un acte criminel lors d’une prestation de services en ergothérapie.

Quelle est la raison d’être du secret professionnel ?

Comme nous l’indique Éducaloi dans sa capsule Le secret professionnel, « Ce secret existe pour permettre à une personne de s’ouvrir complètement au professionnel dans une situation où elle a besoin d’aide. Cette personne peut ainsi partager toute l’information dont le professionnel a besoin pour agir efficacement »1

D’où vient l’obligation du respect du secret professionnel ?

L’ergothérapeute, comme tout professionnel régi par le Code des professions, a l’obligation de respecter le secret professionnel de son client. Cette obligation découle d’abord de l’alinéa 1 de l’article 60.4 du Code des professions : « Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession ». Elle est aussi prévue à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte) qui stipule :

  • « Chacun a droit au respect du secret professionnel. »
  • « Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. »
  • « Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. » Par conséquent, il ne s’agit pas seulement d’une obligation déontologique, mais aussi d’un droit fondamental du client protégé par la Charte. Pour les ergothérapeutes, cette obligation déontologique est inscrite aux articles 48 à 56 du Code de déontologie (Code).2,3,4,5

Quelles en sont les conditions d’application?

Toute information donnée à un professionnel n’est pas nécessairement protégée par le secret professionnel. Trois conditions sont essentielles. Tout d’abord, tel qu’indiqué précédemment, le secret doit être imposé par une loi ; c’est l’article 60.4 du Code des professions qui l’impose aux ergothérapeutes. Ensuite, l’information transmise par le client doit avoir une nature secrète. Enfin, cette transmission de l’information doit avoir lieu dans le cadre d’une relation professionnelle6.

En conséquence, chaque fois que les ergothérapeutes recueillent des renseignements confidentiels dans le cadre d’une prestation de services, l’obligation de respect du secret professionnel s’applique. 

Dans la pratique, comment se traduit le respect du secret professionnel pour l’ergothérapeute ? Le secret professionnel exige de l’ergothérapeute le respect de la confidentialité, donc une obligation de garder le silence ; c’est ce qui garantit au client le bénéfice de la confidentialité. De plus, l’ergothérapeute ne peut être obligé de divulguer l’information confidentielle qu’il détient.7

Cependant, la loi prévoit des circonstances dans lesquelles le professionnel a la permission de divulguer l’information détenue ; ces situations d’exception sont prévues à l’article 60.4 du Code des professions, alinéas 2 et 3. Elles sont reprises précisément, d’une part, à l’alinéa 2 de l’article 48 qui stipule que « L’ergothérapeute ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse ». Et d’autre part, à l’alinéa 1 de l’article 55 du Code de déontologie des ergothérapeutes qui précise que « L’ergothérapeute peut communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il a un motif raisonnable de croire qu’un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiables ».8,9

Ainsi, ces situations d’exception prévues par la loi ne visent nullement à prévenir la criminalité.

Par conséquent, l’ergothérapeute peut-il dénoncer à la police un fait de nature criminelle observé durant une prestation de service d’ergothérapie?

Évidemment, chaque situation est spécifique en soi et l’utilisation de cas de figure peut aider à mieux comprendre.

Dans un premier cas de figure, le client cultive du cannabis dans son appartement. Bien que la possession du cannabis constitue un acte criminel, l’ergothérapeute ne peut transmettre cette information à la police ou à toute autre personne, car il n’y a aucun danger imminent et, plus particulièrement, aucune personne ni aucun groupe ne sont en danger de mort ou de blessures graves ; donc rien ne peut justifier la divulgation d’une telle information obtenue à l’occasion d’une visite à domicile auprès d’un bénéficiaire.

Dans un second cas de figure, lors d’une évaluation de besoin en adaptation permettant à un client d’utiliser son ordinateur, l’ergothérapeute observe qu’il est en contact avec des sites Web de pornographie juvénile. L’ergothérapeute peut-il dénoncer ce fait à la police ?

Bien que l’accès à un site Web de pornographie juvénile soit de nature criminelle, l’ergothérapeute ne peut faire aucune dénonciation auprès de la police ou d’autre personne, car l’acte criminel en soi ne fait pas partie de l’exception prévue par la loi.

Par contre, si l’ergothérapeute identifie clairement un enfant ou un groupe d’enfants exploité par ce site, l’ergothérapeute peut-il faire une dénonciation ?

Dans le cas où un enfant ou un groupe d’enfants est clairement identifiable, l’ergothérapeute pourrait, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) faire une déclaration auprès du directeur de la protection de la jeunesse, et ce, comme prévu à l’alinéa 2 de l’article 48 du Code.

En vertu de l’article 39, alinéas 2 et 4, de la LPJ, l’ergothérapeute est effectivement tenu de faire sans délai un signalement au directeur de la protection de la jeunesse lorsqu’il a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est considéré comme compromis en raison d’abus sexuels.10,11

Les abus sexuels sont décrits comme suit à l’article 38, paragraphe d de cette loi : lorsque l’enfant subit ou encourt le risque de subir des gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation. Il est important de souligner dans ce cas de figure que l’ergothérapeute n’a aucun lien professionnel avec l’enfant ou le groupe d’enfants exposé à ces abus sexuels.12 Dans un tel cas, quels renseignements l’ergothérapeute pourrait-il transmettre et à qui ?

Pour répondre, il faut revenir à l’article 55, alinéa 2 du Code, qui précise que « le professionnel ne peut alors communiquer ces renseignements qu’à la personne exposée à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication ». Donc l’ergothérapeute ne peut transmettre que l’information précise et concise permettant d’identifier l’enfant ou le groupe d’enfants. Par conséquent, l’ergothérapeute ne pourrait transmettre aucune autre information pouvant identifier le client en cause. Selon l’alinéa 3 du même article, l’ergothérapeute doit transmettre ladite information précise et concise seulement au directeur de la protection de la jeunesse comme l’édicte la loi.13 

En somme, ces règles découlent de lois d’ordre public et ne peuvent être modifiées par de quelconques mesures administratives.

1. https://www.educaloi.qc.ca/capsules/le-secret-professionnel.
2. Francis Gervais, L'obligation de confidentialité imposée à l'avocat n'est pas limitée à l'application du principe du secret professionnel, dans Congrès annuel du Barreau du Québec 2014, Montréal, Barreau du Québec, 2014, p. 18 et suivants, à la page 72.
3. Code des professions, L.R.Q.c.-26, art. 60.4, alinéa 1.
4. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 9.
5. Code de déontologie des ergothérapeutes du Québec, L.R.Q., c. c-26, r-113.01, art. 48 et suivants.
6. Educaloi, précitée, note 1.
7. Francis Gervais, précitée, note 2, p. 25 et 26 à la page 72
8. Code des professions, art. 60.4, alinéas 2 et 3
9. Code de déontologie, art. 48, alinéa 2 et art. 55, alinéa 1
10. Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ c P- 34.1 art. 48, alinéa 2
11. L.P.J., art. 39, alinéas 2 et 4
12. L.P.J., art. 38, p. d
13. Code de déontologie, art. 55, alinéas 2 et 3

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