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L’ergothérapeute comme témoin expert à la cour : les préalables

Que ce soit en matière d’accident de travail, d’accident de la route, d’erreur médicale ou en d’autres matières, les ergothérapeutes sont de plus en plus souvent appelés à agir à titre d’experts auprès des tribunaux, et ce, autant pour le compte du bénéficiaire que du tiers payeur.

Or, ne s’improvise pas expert qui veut. En effet, outre les considérations légales, dont nous ne traiterons pas ici, il importe de souligner que certaines considérations déontologiques et pratiques devraient guider l’ergothérapeute dans sa décision d’agir ou non à titre d’expert devant les tribunaux. Sans prétendre en faire une énumération exhaustive, nous donnerons ci-après quelques exemples de telles considérations. Mais, d’abord, examinons de plus près en quoi consiste le rôle de témoin expert.

Qu’est-ce qu’un témoin expert?

Un témoin expert est une personne qui possède des connaissances et des compétences particulières sur un sujet. Son rôle consiste essentiellement à éclairer le tribunal sur des matières scientifiques ou techniques qui nécessitent un niveau de connaissances que celui-ci ne possède pas.

Contrairement aux autres témoins, dont le rôle se limite à rapporter des faits dont ils ont eu connaissance, le témoin expert est autorisé à émettre une opinion sur une situation particulière. Le témoignage de l’ergothérapeute expert revêt donc une grande importance compte tenu non seulement des conséquences que son opinion est susceptible d’avoir sur la personne qui en est l’objet (perte d’indemnités, retour au travail, assistance personnelle ou adaptation du domicile refusées, etc.), mais également sur l’exercice de la profession.

De fait, les propos, les analyses et les opinions avancés par un ergothérapeute expert dans le cadre d’une instance sont susceptibles de faire jurisprudence, d’être repris par divers intervenants et ainsi de teinter l’exercice de l’ergo thérapie. Par conséquent, avant d’accepter d’agir à titre d’expert, il importe que l’ergothérapeute s’assure de respecter les règles suivantes.

Connaissances et compétences requises

L’ergothérapeute doit tout d’abord s’assurer d’avoir les connaissances et les compétences requises eu égard au mandat qu’on souhaite lui confier. Les connaissances dont il est ici question ont bien entendu trait à la science de l’ergo thérapie et aux normes de pratique applicables en l’espèce afin de permettre à l’ergothérapeute de baser son opinion sur des principes théoriques ou scientifiques reconnus.

L’ergothérapeute doit également posséder les connaissances pertinentes au contexte dans lequel s’inscrit le cas sous étude, à savoir les éléments propres à la personne visée de même que le contexte légal y afférent (normes de la CSST, de la SAAQ et autres). L’article 3.02.04 du Code de déontologie stipule à cet égard que l’ergothérapeute doit s’abstenir de donner un avis incomplet et doit à cette fin chercher à avoir une connaissance complète des faits. Le défaut de respecter cette obligation est susceptible d’entrainer des mesures disciplinaires pour l’ergothérapeute fautif.

L’ergothérapeute doit également s’assurer de posséder l’expérience professionnelle et les compétences particulières reliées au domaine en cause afin d’être en mesure de fournir au tribunal une opinion juste et éclairée sur les questions qui lui sont soumises. Les articles 3.01.01 et 3.02.02 du Code de déontologie des ergothérapeutes font état de l’obligation de ce dernier d’agir dans les limites de sa compétence et de ne pas faire de fausse représentation à cet égard.

Le niveau de connaissances et de compétences requis peut varier d’une situation à l’autre. Mentionnons qu’idéalement, un ergothérapeute doit posséder une bonne combinaison de ces éléments afin de pouvoir remplir adéquatement son mandat. En effet, un ergothérapeute peut avoir travaillé plusieurs années dans un domaine particulier mais ne pas pouvoir prétendre être expert dans ce domaine pour autant s’il n’a pas actualisé et approfondie ses connaissances à cet égard. De même, un ergothérapeute peut avoir effectué des études poussées dans un domaine mais n’avoir jamais mis ses connaissances en pratique, ce qui, dans certains cas, pourrait être problématique compte tenu de la nature des questions qui lui sont soumises.

De plus, les connaissances et les compétences de l’ergothérapeute doivent avoir trait aux questions visées par l’expertise. Ainsi, un ergothérapeute peut être considéré comme expert dans un domaine en particulier, mais cela ne fait pas de lui un expert dans tous les domaines de l’ergothérapie.

Habiletés requises

Outre les connaissances et les compétences nécessaires pour se qualifier d’expert, l’ergothérapeute doit posséder d’excellentes habiletés communicationnelles. Il doit pouvoir rédiger un rapport clair et concis et vulgariser sa matière. De fait, le plus grand des spécialistes ne sera pas écouté par le tribunal s’il parle un langage qu’il est le seul à comprendre.

L’ergothérapeute doit aussi pouvoir faire preuve d’une grande rigueur dans l’exécution de son mandat et disposer des outils, du temps et des ressources nécessaires.

Finalement, le témoin expert doit être capable de fournir son témoignage avec assurance, et ce, quelle que soit la partie qui l’interroge. Les témoins experts étant souvent mis à rude épreuve lors des contre-interrogatoires, l’ergothérapeute qui souhaite agir en tant qu’expert doit pouvoir faire preuve de sang-froid et avoir l’assurance nécessaire pour y faire face. Il en va non seulement de sa crédibilité mais également de celle de la profession.

À la lumière de ce qui précède, il appert que le rôle de témoin expert ne doit pas être pris à la légère. Nous invitons donc tous les ergothérapeutes qui seraient appelés à remplir un tel mandat à la plus grande prudence et à s’assurer que, minimalement, les considérations précédemment exposées seront respectées. Nous examinerons dans un prochain article les règles qu’un ergothérapeute doit suivre dans le cadre de l’exécution d’un tel mandat afin de respecter les obligations déontologiques, notamment d’agir avec impartialité et de respecter le secret professionnel.

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