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Avantages, ristournes ou commissions : un enjeu d’actualité

Me Jean Lanctot, Avocat
L’actualité des derniers mois a mis en lumière une problématique particulière reliée à la notion de l’indépendance professionnelle : les ristournes, les commissions ou avantages reçus ou offerts par certains professionnels.

C’est ainsi que les médias ont fait notamment état des ristournes offertes par certaines compagnies pharmaceutiques à des pharmaciens ainsi que de certains avantages offerts sous forme de loyers gratuits par des pharmaciens à des médecins.

Ces récents événements suscitent de nombreuses questions et sont l’occasion d’aborder leur étude dans le cadre de la profession d’ergothérapeute. Chaque membre de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec peut en effet être interpellé par des situations analogues et se doit donc d’y apporter des réponses conformes à son éthique professionnelle.

La norme déontologique

Le professionnel bénéficie au Québec d’un statut privilégié par rapport au reste de la population qui lui assure la réserve d’un titre professionnel et parfois la réserve ou l’exclusivité d’activités professionnelles. En contrepartie, il est astreint au respect de normes éthiques particulières qui lui interdisent d’adopter des comportements que l’on peut rencontrer par exemple dans le domaine purement commercial. Ainsi, personne ne s’étonnera ni ne se scandalisera du fait qu’un commerçant de meubles bénéficie d’importantes ristournes de la part de manufacturiers. Il en va cependant tout autrement pour un ergothérapeute qui accepterait d’être avantagé par le fait d’avoir opté pour un modèle particulier d’aide technique pour un client.

Pourquoi en est-il ainsi ? Tout simplement parce que le client est en droit de s’attendre à ce que l’ergothérapeute soit un professionnel indépendant, capable de conseiller un client, en toute liberté et sans aucune attache, relativement à ses besoins.

Les dispositions pertinentes

Le Code de déontologie des ergothérapeutes, à l’instar de la plupart des codes de déontologie des ordres professionnels, contient des dispositions visant à prohiber toute situation de nature à affecter l’indépendance professionnelle des membres de l’OEQ.

3.05.02 L’ergothérapeute doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts.
Sans restreindre la généralité de ce qui précède, un ergothérapeute :

  1. est en conflit d’intérêts lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés;
  2. n’est pas indépendant comme conseiller pour un acte donné, s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel.

3.05.03 Un ergothérapeute doit s’abstenir de recevoir, à l’exception de la rémunération à laquelle il a droit, de verser ou de s’engager à verser tout avantage, ristourne ou commission relatif à l’exercice de sa profession.

Notons que ces articles se situent à l’intérieur de la sous-section 5 intitulée « Indépendance et désintéressement », elle-même incluse à la section III du Code de déontologie intitulée « Devoirs et obligations envers le client ».

Pourquoi faire preuve de désintéressement?

Il peut sembler incongru de poser comme postulat qu’un professionnel doit faire preuve de désintéressement dans l’accomplissement de ses devoirs professionnels. Après tout, l’exercice de la profession constitue une activité économique non négligeable soumise à un environnement concurrentiel.

Pourtant, l’éthique professionnelle exige que le professionnel subordonne son propre intérêt à celui de son client. En matière d’indépendance professionnelle et de désintéressement, il importe non seulement que le professionnel agisse dans l’intérêt de son client, mais il doit également pouvoir démontrer qu’il apparaît être indépendant.

Ainsi, toute situation où un ergothérapeute accepterait un avantage ou une ristourne sous quelque forme que ce soit, en fonction du volume d’achat chez un fournisseur par exemple, est susceptible de constituer une faute. Dans un tel cas, le fait que les biens acquis du fournisseur correspondent aux réels besoins du client n’a aucune incidence quant à la faute commise.

S’il est interdit d’accepter des avantages, ristournes ou commissions, il est important de noter que le fait de les offrir constitue également une faute. Dans une décision de 1998, le Comité de discipline des dentistes reconnaissait la culpabilité d’une dentiste qui s’était engagée à verser la somme de 2 $ pour chaque visite d’examen ou de nettoyage à un comité de parents en vue de promouvoir les activités parascolaires des enfants. Le comité de parents s’était engagé à distribuer des lettres circulaires aux parents. Le but de l’exercice était évidemment d’attirer de la clientèle au cabinet de la dentiste.

Parfois, l’avantage peut prendre une forme plus subtile. Par exemple, dans certains cas, le client est dirigé vers un tiers fournisseur et l’entente établie entre ce dernier et le professionnel prévoit que dans l’hypothèse où le client achète des biens du fournisseur, le prix de la visite chez le professionnel est déduit en tout ou en partie de la facture du client. Le coût des honoraires professionnels est donc tributaire de l’achat de certains biens ou services. Une telle pratique apparaît tout aussi inacceptable au plan de l’éthique.

On se doit également d’être attentif par rapport à des situations où des ergothérapeutes détiendraient des intérêts dans une entreprise de services ou de vente de produits qu’il pourrait être appelé à conseiller ou à recommander. Dans de tels cas, les profits générés par ce tiers seraient également susceptibles de constituer un avantage illégal pour l’ergothérapeute.

Conclusion

Le respect des règles déontologiques commande d’éviter toute situation susceptible d’affecter le lien de confiance entre le public et les professionnels. Les ergothérapeutes se doivent donc d’être vigilants et de refuser de s’engager dans toute entente contraire aux dispositions impératives de leur Code de déontologie. En cas de doute, le bureau du syndic demeure un interlocuteur essentiel susceptible de guider l’ergothérapeute dans ses choix.

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