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Dépistage des troubles cognitifs et utilisation optimale des compétences de l’ergothérapeute

Récemment, l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) cosignait avec le Collège des médecins du Québec, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et l’Ordre des psychologues du Québec un texte sur l’utilisation du Folstein, ou Mini Mental State Examination – MMSE (ci-après nommé « Folstein »), dans les établissements de santé et de services sociaux, plus particulièrement dans le contexte de la prescription de médicaments d’exception.

En réponse aux questions d’une répondante de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), ce texte fait état des balises légales encadrant l’usage du Folstein conformément aux dispositions législatives explicitées dans le Guide explicatif de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (ci-après nommé « Guide explicatif »). Ce texte a été transmis à l’AQESSS le 28 mai 2013, qui l’a par la suite diffusé à ses établissements membres.

Le présent article constitue un complément au texte inter-ordre. Il vise à préciser ce que l’OEQ considère comme étant une utilisation optimale des compétences des ergothérapeutes dans un contexte de dépistage des troubles cognitifs, et ce, dans le respect des pratiques attendues en ergothérapie, des normes de compétences et de la déontologie professionnelle. De même, il précise certains renseignements transmis par l’OEQ lors de sa récente tournée d’information sur le PL 21.

Le contexte de la prescription de médicaments d'exception

Comme le mentionne le texte inter-ordre, la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ)1 exige que le médecin qui souhaite renouveler une prescription de médicaments d’exceptionfournisse la preuve d’un effet bénéfique confirmé par chacun des éléments suivants :

  1. score au MMSE de 10 ou plus, à moins d’une justification pertinente;
  2. diminution maximale du score au MMSE de 3 points par période de 6 mois comparativement à l’évaluation antérieure ou une baisse supérieure accompagnée d’une justification pertinente;
  3. stabilisation ou amélioration des symptômes dans au moins 3 des domaines suivants :
    a) fonctionnement intellectuel, y compris la mémoire,
    b) humeur,
    c) comportement,
    d) autonomie pour les activités de la vie quotidienne et les activités de la vie domestique,
    e) interaction sociale, y compris la capacité de tenir une conversation, le tout pouvant nécessiter la participation de différents professionnels, selon leur champ d’exercice.

Le médecin peut solliciter la contribution de professionnels et d’intervenants de la santé et des services sociaux, dont les ergothérapeutes, pour documenter les éléments précités.

Le dépistage des troubles cognitifs par l’ergothérapeute en utilisant le Folstein

Le texte inter-ordre rappelle que le dépistage n’est pas une activité réservée et que, en conséquence, l’utilisation du Folstein n’est pas réservée.

Ainsi, il n’est pas illégal pour un ergothérapeute de répondre à une demande de services d’un médecin qui souhaite obtenir le score du Folstein en vue de prescrire ou de renouveler un médicament d’exception.

L’ergothérapeute qui répond à une telle demande de services devra toutefois s’assurer d’avoir les compétences pour administrer ce test, notamment par la connaissance de ses qualités psychométriques.

L’ergothérapeute devra rendre compte dans le dossier du client du service rendu, dans le respect de la règlementation applicable et des normes professionnelles. Il ne devra pas se limiter à rapporter les « cotes brutes » du Folstein sans autres mises en contexte ou interprétation. En d’autres termes, l’ergothérapeute ne peut se restreindre à insérer au dossier le formulaire recensant les cotes obtenues ou à le transmettre au médecin sans autre note d’ergothérapie au dossier. Il devra interpréter le résultat du Folstein à la lumière des normes établies et du contexte de passation du test.

L’OEQ s’attend également à ce que l’ergothérapeute cadre cette interprétation avec la finalité de son champ d’exercice, soit les habiletés fonctionnelles, et ce, que le Folstein constitue la seule intervention effectuée ou que son utilisation s’insère dans une évaluation plus étoffée. L’ergothérapeute devra toutefois s’assurer d’émettre une opinion professionnelle qui reflète l’étendue de l’évaluation réalisée, notamment en considérant les limites qu’impose une simple utilisation du Folstein. Par exemple, pour un client dont le score démontrerait une atteinte possible des fonctions cognitives, il serait opportun que l’ergothérapeute recommande une évaluation des habiletés fonctionnelles pour déterminer si ces  difficultés se répercutent sur lesdites habiletés.

L’évaluation des habiletés fonctionnelles par l’ergothérapeute

Le médecin qui souhaite renouveler la prescription d’un médicament d’exception doit fournir à la RAMQ la preuve d’un effet bénéfique confirmé par divers éléments, dont l’effet sur « l’autonomie pour les activités de la vie quotidienne et les activités de la vie domestique ». Dans ce contexte, la contribution de l’ergothérapeute s’impose puisque les conclusions requises par le médecin concernent les habiletés fonctionnelles de la personne.

Comme le souligne le texte inter-ordre, lorsqu’il est mandaté pour une telle contribution, l’ergothérapeute devra déterminer la façon de procéder qui lui apparaît la plus appropriée dans les circonstances. Cela signifie qu’il lui revient de choisir les instruments de mesure et les méthodes d’évaluation qu’il juge pertinents pour émettre ses conclusions. D’ailleurs, les normes qui encadrent la pratique des professionnels en la matière les enjoignent à considérer le choix des instruments de mesure en fonction notamment des caractéristiques du client et des objectifs de l’évaluation, ce que soutient le Guide explicatif.

Dans le contexte d’une telle contribution, il est fort peu probable que le Folstein soit retenu par l’ergothérapeute, étant donné les limites de ses qualités psychométriques.

L’utilisation optimale des compétences de l’ergothérapeute

Bien que le texte inter-ordre sur l’utilisation du Folstein traite principalement des balises légales encadrant l’usage de ce test, il se conclut néanmoins sur un rappel de certains principes soutenant l’application du PL 21.

Parmi ceux-ci, mentionnons l’accessibilité compétente et la reconnaissance des compétences spécifiques et transversales des professionnels du secteur de la santé mentale et des relations humaines visant à permettre une meilleure organisation et dispensation optimale de soins et de services sécuritaires et de qualité, dans un cadre interdisciplinaire centré sur les besoins de la personne.

Sur ce plan, l’OEQ considère que l’utilisation des ergothérapeutes dans le seul but d’obtenir un score au Folstein en vue de prescrire un médicament d’exception n’est pas une utilisation optimale de leurs compétences professionnelles. Plusieurs ergothérapeutes nous ont rapporté devoir consacrer une large part de leur temps à de telles activités au détriment de la prestation d’autres services d’ergothérapie. En conséquence, de nombreux usagers ne peuvent recevoir de services visant à répondre à leurs besoins sur le plan des habiletés fonctionnelles.

Paradoxalement, la prescription de médicaments d’exception doit viser, entre autres, une amélioration ou une stabilisation des symptômes sur le plan de « l’autonomie pour les activités de la vie quotidienne et les activités de la vie domestique ». L’ergothérapeute, le professionnel qui a de telles préoccupations au coeur de son champ d’exercice, devrait prioritairement être mis à contribution pour optimiser le potentiel d’autonomie des usagers auxquels une telle médication a été prescrite. Il s’agit ici d’un parfait exemple « d’accessibilité compétente dans un cadre interdisciplinaire centré sur les besoins de la personne ».

Le dépistage des troubles cognitifs dans d'autres contextes

Une demande de services pour un dépistage des troubles cognitifs peut être transmise à un ergothérapeute et il ne lui est pas illégal d’y répondre puisqu’une telle activité n’est pas réservée.

L’OEQ est d’avis qu’il revient alors à l’ergothérapeute d’utiliser son jugement professionnel pour déterminer la méthode d’évaluation ou l’instrument de mesure approprié pour répondre à cette demande en tenant compte, notamment, des caractéristiques du client et de son environnement, du contexte de la demande (p. ex. : pourquoi a-t-on besoin du résultat ?), du lieu d’exercice, etc.

Comme le souligne si bien le Guide explicatif, la méthode d’évaluation ou l’instrument de mesure choisis doit également s’inscrire dans la finalité du champ d’exercice du professionnel qui l’utilise. Par exemple, selon le contexte, il pourrait s’avérer plus judicieux pour un ergothérapeute de procéder à un dépistage de difficultés cognitives à partir de mises en situation ou d’un instrument de mesure des habiletés fonctionnelles que par l’utilisation d’un test portant exclusivement sur des fonctions cognitives.

En faisant appel à un professionnel pour effectuer une activité de dépistage, on lui confie également le mandat d’utiliser son jugement professionnel pour mener à bien cette activité, dans le respect de ses normes professionnelles et de la déontologie, particulièrement par le respect des principes d’autonomie et de responsabilité professionnelles.

La formulation des demandes de services liées au dépistage des troubles cognitifs

Plusieurs ergothérapeutes ont sollicité l’OEQ pour obtenir un avis sur la manière appropriée de formuler les demandes de services en ergothérapie portant sur le dépistage des troubles cognitifs. L’OEQ propose les balises suivantes afin que les ergothérapeutes reçoivent des demandes de services :

  1. conformes à la loi, notamment en ce qui a trait aux activités réservées,
  2. suffisamment claires pour éviter de requérir des précisions auprès du demandeur.

Une demande de services pour un dépistage des troubles cognitifs en ergothérapie devrait être formulée pour laisser place au jugement professionnel de l’ergothérapeute quant au choix de la méthode d’évaluation et de l’instrument de mesure qu’il juge appropriés à la situation du client, en conformité avec la finalité de son champ d’exercice.

Une demande de services pour un dépistage des troubles cognitifs en ergothérapie lié à la prescription ou au renouvellement d’un médicament d’exception devrait préciser ce contexte afin que l’ergothérapeute comprenne que le Folstein doit être utilisé.

La formulation « évaluation des fonctions cognitives » est à proscrire puisqu’il s’agit d’une activité réservée aux neuropsychologues (évaluation des troubles neuropsychologiques). L’ergothérapeute doit refuser une telle demande.

La formulation « appréciation des fonctions cognitives » est également à proscrire. En effet, le Guide explicatif (p.41) précise que l’appréciation des fonctions mentales supérieures effectuée par l’ergothérapeute se réalise dans le cadre de son évaluation des habiletés fonctionnelles dans le but de conclure sur les habiletés fonctionnelles de la personne. Ainsi, « l’appréciation » ne peut être accomplie de manière isolée, en dehors de la finalité du champ d’exercice de l’ergothérapeute.

Conclusion

Les enjeux d’accessibilité compétente et de disponibilité restreinte des ressources humaines en ergothérapie nous incitent à converger vers une utilisation optimale des compétences des ergothérapeutes centrées sur les habiletés fonctionnelles des usagers, le coeur de leur champ d’exercice. La contribution des ergothérapeutes peut comprendre le dépistage des troubles cognitifs, mais une telle activité doit toutefois être accomplie dans le respect de la loi, de la déontologie professionnelle, des normes professionnelles en ergothérapie et des pratiques recommandées en la matière, ceci incluant les preuves scientifiques dans ce domaine.

1. Extrait de l’annexe intitulée La liste des médicaments d’exception et des indications reconnues pour leur paiement. Ce document, mis à jour le 28 février 2013, est accessible sur le site Web de la RAMQ à l’adresse suivante : www.ramq.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/professionnels/medicaments/annexe-9.pdf
2. Les médicaments ici visés sont : donépézil, galantamine, rivastigmine et mémantine.

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