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L’importance de l’éthique dans la pratique des ergothérapeutes

L'éthique est-elle nécessaire quand on possède un code de déontologie et qu’on utilise son gros bon sens ? L’objet de ce texte est de discuter de l’importance d’inclure l’éthique dans la formation des ergothérapeutes. Nous aborderons d’abord la société de droit et le système professionnel. Ensuite, nous étayerons l’importance de l’éthique au regard des situations de plus en plus complexes au sein desquelles les ergothérapeutes exercent. Notamment, nous discuterons de la place centrale qu’occupent le raisonnement clinique (RC) et son volet éthique.

Notre société est basée sur des règles de droit (Émond et Lauzière, 2003). Ces règles, issues de valeurs sociales, encadrent les activités humaines, dont celles des professionnels de la santé. Ainsi, le système professionnel comporte des lois (ex. : Code des professions) et des règlements, adoptés en vertu de ces lois (ex. : Code de déontologie), qui établissent, entre autres, les grandes balises que le professionnel doit respecter dans ses interactions avec un client. Considérant la diversité de ces interactions, les lois et les règlements doivent être rédigés de manière plus générale afin que leurs dispositions s’appliquent dans un éventail de situations. Ainsi, les dispositions posent, en termes légaux, des règles à respecter. L’interprétation et le respect de ces règles sont assurés par les instances disciplinaires (ex. : Conseil de discipline).

Or, les ergothérapeutes interviennent de plus en plus dans des situations complexes et délicates, en raison notamment des défis occupationnels multiples et de la diversité des clients desservis ou de restrictions budgétaires accrues dans certains services. Dans ces situations, la « bonne » solution n’est pas d’emblée apparente (Lacroix, 2012). L’application automatique des dispositions légales ou déontologiques peut s’avérer insuffisante ou difficile, d’autant que l’éclairage des interprétations judiciaires demeure absent ou peu disponible. Les ergothérapeutes doivent donc mobiliser leurs compétences essentielles, dont leur RC (Higgs et Jones, 2008). Le RC est le processus cognitif qui permet aux cliniciens de planifier, réaliser et réfléchir aux interventions pour le client (Schell, 2009). Ce processus comprend un volet éthique qui permet de choisir une solution clinique et éthique judicieuse, de même qu’adaptée à la situation particulière du client (Kanny et Slater, 2008). Ainsi, par une réflexion approfondie et l’explicitation des valeurs en cause (Lacroix, 2012), l’éthique guide une prise de décision respectueuse des valeurs du client et des membres de l’équipe. Elle assure la protection de valeurs importantes, dont le bien-être et le respect de la dignité du client, en plus de consolider les liens interprofessionnels et d’assurer une pratique basée sur des évidences scientifiques et des valeurs légitimes. De plus, la réflexion éthique permet de protéger l’ergothérapeute contre la détresse éthique (Drolet, 2014), à savoir un inconfort émotif ou cognitif issu d’une situation qui menace le maintien de son intégrité personnelle ou celle de sa profession et qui peut le conduire à l’épuisement. Il s’agit donc de quelques-unes des raisons essentielles de former les ergothérapeutes à l’éthique.

Références

  • Drolet, M-J. (2014). The axiological ontology of occupational Therapy: A philosophical analysis. Scandinavian Journal of Occupational Therapy, 21(1), 2-10.
  • Émond, A. et Lauzière, L. (2003). Introduction à l’étude du droit. Montréal : Wilson & Lafleur.
  • Higgs, J. et Jones, M.A. (2008). Clinical decision making and multiple problem spaces. In J. Higgs, M.A. Jones, S. Loftus, et N. Christensen (dir.), Clinical reasoning in the health professions, (3e edition, p. 1-18). Philadelphia : Butterworth.
  • Kanny, E.M. et Slater, D.Y. (2008). Ethical reasoning. In B.A.B. Schell et J.W. Schell (dir.). Clinical and professional reasoning in Occupational Therapy, (p. 188-208). Baltimore : Lippincott Williams & Wilkins.
  • Lacroix, A. (2012, novembre). Intégrer l’éthique au jugement professionnel. Communication présentée aux 16es Journées annuelles de santé publique, Montréal, Québec.
  • Schell, B.A.B. (2009). Professional reasoning in practice. In E.B. Crepeau, E.S. Cohn, et B.A.B. Schell (dir.), Willard et Spackman’s Occupational Therapy, (11e édition, p. 314-327). Philadelphia : Wolters Kluwer.

Les auteurs de cet article sont responsables de l’enseignement de l’éthique dans l’un des cinq départements d’ergothérapie du Québec, respectivement le département d’ergothérapie de l’Université de Sherbrooke, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, de l’Université de  Montréal, de l’Université McGill et de l’Université Laval.

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