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L’utilisation du portfolio par les ergothérapeutes du Québec : résultats du sondage provincial

Marie-Lyse Foucault, Brigitte Vachon, Annie Rochette, Aliki Thomas, Charles-Édouard Giguère

Les professionnels de la santé ont l’obligation de maintenir à jour et de développer de façon continue leurs compétences professionnelles (Alsop, 2013). Le développement professionnel continu (DPC) se définit par le maintien, l’amélioration et l’accroissement des compétences nécessaires à l’exécution de sa profession tout au long de sa vie professionnelle (Alsop, 2002, 2013 ; Jarvis, 1998 ; Rouse, 2004). Un des outils fréquemment utilisés pour soutenir le DPC chez les professionnels de la santé est le portfolio (Gordon & Campbell, 2013 ; Tochel et coll., 2009). Au cours des dernières années, les ordres professionnels de plusieurs pays et professions, ayant le mandat d’encadrer le DPC de leurs membres, ont développé et implanté des portfolios professionnels afin de soutenir leur engagement dans cette démarche et d’évaluer leurs compétences dans ce domaine (Alsop, 2002 ; Tompkins & Paquette-Frenette, 2010).

Le portfolio est un outil qui soutient un processus d’apprentissage autodirigé (Knowles, 1975). Il favorise une analyse rétrospective de ses réalisations, une réflexion critique sur les pratiques actuelles et une analyse prospective pour son développement futur. Il permet à son utilisateur de devenir plus réflexif, plus conscient de ses forces, de ses faiblesses et de ses besoins d’apprentissage (Alsop, 2002 ; Tochel et coll., 2009 ; Van Tartwijk & Driessen, 2009). Bien que le portfolio papier soit encore utilisé, l’utilisation du portfolio électronique est de plus en plus répandue (Tochel et coll., 2009). Celui-ci présente de nombreux avantages : une plus grande facilité à être complété, à y accéder, à être modifié ainsi qu’à y conserver toutes les informations pertinentes (Gordon & Campbell, 2013 ; Tochel et coll., 2009). Les études ayant comparé ces deux formats de portfolio soulignent que les utilisateurs de portfolio électronique ajoutent plus de contenu personnel à leur portfolio et y consacrent plus de temps (Driessen, Muijtjens, van Tartwijk, & van der Vleuten, 2007 ; Van Tartwijk & Driessen, 2009).

Utilisation du portfolio chez les ergothérapeutes du Québec

L’Ordre des ergothérapeutes du Québec (l’Ordre) a développé un portfolio électronique pour ses membres en 2013. Trois ans plus tard, l’Ordre a souhaité évaluer les impacts de son utilisation et le degré de satisfaction des ergothérapeutes dans un souci d’amélioration de la qualité de l’exercice. C’est ainsi qu’un sondage auprès des ergothérapeutes du Québec sur leur utilisation du portfolio électronique (PE) a été réalisé par l’Université de Montréal pour l’OEQ, dans le cadre d’un projet d’intégration d’une étudiante à la maîtrise. Ce sondage avait pour objectif de décrire les caractéristiques d’utilisation du PE par les ergothérapeutes du Québec, d’évaluer la facilité d’utilisation et le degré de satisfaction, et d’apprécier également les impacts perçus du PE sur la réalisation d’un plan de développement professionnel continu et sur l’amélioration des compétences professionnelles.

À la suite de l’envoi du questionnaire en ligne en juin 2015, 546 ergothérapeutes ont rempli le questionnaire en entier, soit un taux de réponse de 11 %. L’échantillon recruté était représentatif de la population des ergothérapeutes québécois pour ce qui est de l’âge, du sexe, des clientèles et des milieux de pratique. Ainsi, 71,8 % des répondants ont mentionné détenir un baccalauréat en ergothérapie, 22,3 % une maîtrise professionnelle en ergothérapie et 72,9 % travailler à temps complet. Plus du tiers des répondants travaillaient dans un centre de réadaptation (35,9 %) alors que 20,1 % travaillaient dans un centre hospitalier et 18,3 % dans un centre local de services communautaires.

Résultats du sondage

La majorité des répondants ont mentionné avoir rempli leur PE deux fois depuis son implantation, soit en 2013 et en 2014. La majorité des répondants, soit plus de 60 %, mentionnent consacrer entre une et six heures au cours de l’année à remplir leur portfolio. Les répondants qui ont indiqué y avoir consacré plus de 9 heures ont rapporté avoir eu certains problèmes informatiques. La grande majorité des répondants ont rempli le portfolio seul. Seulement 12,3 % ont mentionné avoir fait cette activité en équipe. Par contre, certains ont souligné avoir rempli leur portfolio seul tout en validant certaines informations avec d’autres ergothérapeutes. Près du trois quarts des répondants ont rempli leur portfolio à la maison ; d’autres ont répondu avoir fait cette activité dans leur milieu de travail, mais hors des heures de travail.

Pour la majorité, les répondants ont formulé deux objectifs de DPC dans leur portfolio. Près de 85 % des répondants ont mentionné avoir mis en application l’ensemble ou la majorité des activités planifiées dans leur portfolio. Entre 40 et 65 % des répondants trouvent les sections du portfolio faciles à remplir. Les sections « Mes objectifs » et « L’intégration » sont celles qui sont perçues par la majorité des répondants comme étant difficiles ou très difficiles à remplir. « L’intégration » est la partie du PE qui est la moins souvent complétée. Entre 40 et 61 % des répondants rapportent être très satisfaits ou satisfaits de la démarche pour remplir les différentes sections du portfolio. Néanmoins, l’intégration demeure, pour plus de la moitié des répondants, la section où ils rapportent être les moins satisfaits de la démarche proposée.

Selon les résultats du sondage, les ergothérapeutes sont généralement en accord pour dire que l’utilisation du PE leur a permis d’améliorer leur niveau de réalisation d’un plan de DPC. Ainsi, plus de la moitié des répondants conviennent que l’utilisation du PE leur a permis de réfléchir davantage aux changements à apporter dans leur pratique (62,6 %) et d’identifier des objectifs de DPC (54 %). Par contre, plus de la moitié des répondants (55,9 %) ne perçoivent pas que l’utilisation du PE aide à l’identification d’activités formelles ou non formelles pour atteindre leurs objectifs d’apprentissage (51,3 %) et conviennent qu’il aide peu à la mise en oeuvre de changements concrets à leur pratique (55,9 %). Finalement, même si le PE facilite le développement et la mise en oeuvre d’un plan de DPC, plus de 60 % des répondants sont en désaccord avec l’énoncé selon lequel l’utilisation du PE leur a permis d’améliorer leurs compétences professionnelles, leurs habiletés réflexives et leurs habilités d’autoévaluation.

L’analyse des résultats a aussi démontré que les variables qui influencent le plus la facilité et la satisfaction envers le portfolio sont une attitude favorable par rapport à l’outil et une compréhension adéquate des buts et des consignes pour le remplir. Ces mêmes variables influencent aussi la perception qu’ont les ergothérapeutes des impacts du portfolio sur l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan de développement professionnel continu ou de l’amélioration de certaines de leurs compétences.

Forces et limites de l’utilisation du portfolio électronique

Les résultats de cette étude permettent donc d’identifier des forces et des limites à l’utilisation du PE tel qu’il est actuellement implanté ainsi que certaines pistes de solutions pour en améliorer l’acceptabilité, la pertinence et les impacts sur la pratique.

Améliorer la perception de l’outil

Dans un premier temps, il semble essentiel d’améliorer la perception qu’ont les ergothérapeutes de cet outil ainsi que de clarifier ses buts et les critères utilisés pour son évaluation lors du processus d’inspection professionnelle. Malheureusement, selon lescommentaires des répondants, plusieurs ergothérapeutes continuent de percevoir le portfolio comme une mesure de contrôle ayant pour but de fournir des preuves à l’OEQ de leur participation à des activités de formation continue et reconnaissent peu son rôle pour favoriser un meilleur engagement et une meilleure planification de son DPC afin d’en maximiser les impacts sur l’amélioration continue de sa pratique professionnelle.

Par ailleurs, les résultats du sondage démontrent que la plupart des ergothérapeutes ne perçoivent pas que le PE aide au développement de leurs habiletés réflexives et au changement de pratique.

Promouvoir l’utilisation d’outils réflexifs

Dans un deuxième temps, il serait donc important de promouvoir l’utilisation d’outils réflexifs ou de moyens qui faciliteraient l’approfondissement de la réflexion. Une avenue intéressante serait de promouvoir l’utilisation du portfolio en équipe ou en groupe afin de cibler des objectifs communs d’amélioration continue de la pratique. Le soutien des pairs pour évaluer, critiquer et remettre en question les pratiques peut faciliter et stimuler la réflexion, mais peut aussi permettre le partage des responsabilités associées à la recherche d’évidences scientifiques nécessaires au maintien de la pratique basée sur les données probantes et à l’implantation de changements au sein des processus cliniques. Parallèlement, des groupes de soutien en ligne et de la formation à la pratique réflexive pourraient être développés afin de mieux intégrer la démarche proposée par le portfolio à un processus de transformation de sa pratique professionnelle. Il n’est en effet pas facile de développer des habiletés de réflexion critiques qui permettent de reconnaître les forces et faiblesses de nos pratiques et qui nous mènent à une démarche de changement authentique.

Bien préparer les nouveaux ergothérapeutes à son utilisation

Troisièmement, il importe de bien préparer les nouveaux ergothérapeutes à l’utilisation d’un portfolio professionnel. Bien que les programmes universitaires en ergothérapie intègrent l’utilisation d’un portfolio d’apprentissage, ces portfolios ne proposent pas toujours une démarche similaire au portfolio qu’ils auront à utiliser au cours de leur pratique professionnelle. Les étudiants devraient être en mesure de bien comprendre comment transférer leurs apprentissages et comment mettre à profit les habiletés réflexives développées au cours de leur formation initiale pour remplir annuellement leur PE. S’ils sont formés ainsi, ils pourront agir par la suite comme des agents de changement pour favoriser une meilleure utilisation du portfolio au sein de leurs équipes cliniques et des milieux de pratique.

Il est fort intéressant de constater que la majorité des répondants de cette étude perçoivent que le PE aide à l’élaboration d’un plan de développement professionnel continu, à sa mise en oeuvre ainsi qu’à effectuer une réflexion sur les changements que l’on peut apporter à sa pratique afin d’offrir de meilleurs services d’ergothérapie. Toutefois, les résultats soulignent aussi qu’il serait important de promouvoir l’utilisation d’une démarche réflexive plus ancrée dans la pratique clinique quotidienne et qui favorise des réflexions en équipe. De plus, les résultats soulignent l’importance de poursuivre des études qui identifieront les stratégies les plus appropriées à mettre en oeuvre pour maximiser les impacts du portfolio sur la pratique des ergothérapeutes.

L’équipe de ce projet souhaite remercier chaleureusement les membres du comité de la formation continue de l’OEQ pour le partage de leurs expertises lors du développement du projet de sondage en ligne et de l’analyse des résultats.

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