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La transmission de l’information confidentielle par l’ergothérapeute

Le secret professionnel constitue un droit fondamental pour toute personne ayant recours aux services dispensés par un professionnel. Au Québec en particulier, ce droit a été spécifiquement inscrit à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui se lit comme suit :

« Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. »

Dans le secteur de la santé en particulier, le bénéficiaire est susceptible de recevoir les services dispensés par des professionnels évoluant dans un milieu regroupant plusieurs disciplines professionnelles. En conséquence, l’ergothérapeute doit constamment garder à l’esprit l’importance que revêt la confidentialité de l’information qu’il recueille de ses clients ainsi que des dossiers qu’il tient à leur sujet. Le Code de déontologie des ergothérapeutes comporte également des dispositions garantissant le respect de tout renseignement de nature confidentielle obtenu dans l’exercice de la profession (voir les articles 3.06.01 et suivants).

Le devoir de confidentialité s’impose tant en ce qui concerne l’information recueillie du client que les opinions professionnelles inscrites au dossier. Le présent article entend se concentrer sur la problématique des communications à l’intérieur d’un même établissement.

La consultation informelle

Bien souvent, sans qu’il s’agisse d’une demande d’opinion formelle concernant un dossier, les ergothérapeutes sont amenés à échanger relativement à une problématique particulière. Ces consultations de corridor faites dans l’intérêt du client doivent être tenues avec la plus grande discrétion. On se doit donc de retenir qu’il est essentiel de taire le nom, l’âge ou tout autre élément permettant d’identifier le client concerné.

Bien qu’elles puissent paraître anodines, les conversations entre professionnels sont souvent la source la plus fréquente de rumeurs ou d’indiscrétions assimilables à des manquements au secret professionnel ou à l’obligation de discrétion.

À titre d’illustration, citons l’affaire Dembri, ayant fait l’objet d’un jugement par le Tribunal des professions en 1999. Dans cette affaire, une psychologue avait présenté des tests d’expertise qu’elle avait fait subir à un client à d’autres membres du personnel de l’établissement non directement concernés par ce client. L’incident s’est produit à l’heure du repas du midi et de façon informelle. Le Tribunal des professions a confirmé le verdict de culpabilité du Comité de discipline des psychologues, précisant notamment qu’il aurait fallu que le bénéficiaire autorise par écrit la psychologue à agir de la sorte.

Dans une autre affaire plus récente rapportée en 2003, le Comité de discipline des technologues en radiologie du Québec a déclaré coupable un technologue en radiologie ayant manqué à son secret professionnel et à son devoir de discrétion en communiquant les renseignements au sujet du dossier d’un usager à d’autres employés de l’établissement alors que ces renseignements n’étaient pas nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Dans ce cas particulier, il s’avère que les renseignements qui ont circulé ont été à l’origine de rumeurs faisant faussement état d’éventuelles poursuites civiles.

La consultation formelle

Lorsqu’un ergothérapeute considère que le cas d’un client nécessite une consultation formelle auprès d’un autre professionnel membre ou non de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec, la démarche entreprise ne constitue pas une indiscrétion professionnelle. Dans ce cadre précis, l’ergothérapeute peut être considéré comme le porte-parole de son client et le professionnel consulté est lié au secret tout autant que l’ergothérapeute consultant.

Cependant, même dans les situations d’échanges formels, on doit retenir que l’information transmise doit se limiter à ce qui est nécessaire au professionnel consulté pour accomplir adéquatement la tâche visée et qu’il est toujours essentiel de tenir le client informé d’une telle démarche.

La problématique de la diffusion d'information à des tiers

Si la diffusion d’information confidentielle entre professionnels à l’intérieur d’un établissement est strictement limitée, il va sans dire qu’elle l’est également pour toute information divulguée à des tiers.

En 1999, un chimiste était trouvé coupable par le Comité de discipline des chimistes d’avoir omis de s’assurer que son employé s’abstienne de communiquer certains renseignements confidentiels à la mère d’une cliente. Ayant de la difficulté à joindre la cliente, l’employé a transmis à la mère de celle-ci, par téléphone, les résultats d’une analyse sanguine. Cette information, rapporte le Comité, a eu pour effet de causer des préoccupations inutiles à la cliente et à sa mère.

De façon générale, on doit retenir qu’il faut être particulièrement vigilant lors de communications téléphoniques avec des tiers ou pouvant être entendues par ceux-ci, et ce, même lors de la prise de rendez-vous. En principe, les lieux physiques devraient permettre la prise en note du motif d’une consultation sans que toutes les personnes présentes en soient informées.

En ce qui concerne les proches qui souvent accompagnent le client lors des consultations, on peut, à bon droit, considérer que leur présence constitue une certaine forme de renonciation implicite à la confidentialité. Il faut cependant se rappeler que leur seule qualité de proche n’autorise pas automatiquement la divulgation d’information confidentielle, comme nous l’avons vu dans le cas précité du chimiste. En cas de doute, on se doit toujours d’adopter une règle de conduite permettant de préserver la règle de confidentialité.

Le traitement de l'information dans un cadre multidisciplinaire

La prise en charge d’un client dans un établissement où les soins et traitements seront prodigués par une équipe ou dans un cadre multidisciplinaire a-t-elle pour incidence d’altérer l’étendue du secret professionnel dont jouit une personne ?

À cette question, le Tribunal des professions a répondu par la négative dans l’affaire Dembri précitée, précisant qu’il est inexact de prétendre que le droit au secret professionnel d’un bénéficiaire séjournant dans un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux perd sa portée uniquement parce que les soins, traitements ou expertises qui le concernent y sont effectués dans un cadre multidisciplinaire.

Donc, pour l’ergothérapeute, un bénéficiaire demeure un client, même si les actes professionnels qu’il pose à son endroit ont été limités et réalisés pour des fins très spécifiques. Par exemple, les confidences recueillies lors de ces interventions n’ont pas à être divulguées à des professionnels pour qui l’information n’aurait aucune pertinence ni utilité dans leur intervention auprès du client.

Rappelons que le droit au secret est et demeure celui du client et non celui du professionnel ou de l’établissement. On doit donc retenir que, malgré une croyance largement répandue, il n’existe pas de « secret professionnel » rattaché à l’institution permettant de divulguer librement l’information confidentielle au personnel d’un établissement, sans considération de leur implication réelle au dossier et sans l’autorisation de l’usager. Le consentement du client demeure toujours la clé permettant une telle communication entre professionnels.

Ce principe est d’ailleurs reconnu à l’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., c. S-4.2, qui énonce clairement le principe général selon lequel le dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès sans son consentement.

La nécessité de l'accord du client

De façon générale, le client a la possibilité d’autoriser la communication de son dossier aux autres professionnels ou à un tiers. On doit par contre retenir que le consentement du client sera requis pour une période déterminée. Cet accord devrait préférablement être donné sous forme écrite et consigné au dossier pour ne pas créer d’incertitude. Le transfert d’information confidentielle pourra donc alors s’opérer par simple transmission d’une copie ou d’un extrait du dossier du client, par demande de consultation ou par un autre mécanisme pertinent.

Pour compléter notre survol de la transmission de l’information confidentielle, nous aborderons les notions portant sur la propriété du dossier, son accès ainsi que son transfert à l’extérieur de l’établissement. Nous terminerons par la revue de certaines exceptions permettant la levée du secret professionnel et la transmission d’informations privilégiées sans le consentement du client.

Qui est propriétaire du dossier professionnel?

La possibilité que des informations relatives à un dossier d’un client soient transmises à l’extérieur d’un établissement soulève certes un questionnement au sujet des droits et des obligations de l’établissement et du client. La première question à laquelle il convient de répondre nous apparaît celle concernant la propriété du dossier professionnel.

La question de la propriété du dossier professionnel a suscité dans le passé de nombreuses discussions, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Pour certains, il était la propriété de l’établissement ou du professionnel alors que pour d’autres, le client en était le réel propriétaire.

La Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-4.2) nous apporte un certain éclairage et reconnaît, à son article 17, l’accès de l’usager à son dossier. L’article 50 du Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements (c. S-5, r.3.01) oblige l’établissement à ouvrir et à conserver intégralement les dossiers des clients. Le législateur considère donc l’établissement comme le gardien légal ou le fiduciaire du dossier de l’usager.

Un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1986, dans l’affaire McInerney c. MacDonald, est venu trancher le débat entourant cette question. Dans cette affaire, la cour conclut que le médecin ou l’établissement ont la garde physique du dossier et qu’ils sont propriétaires de son support, mais que le client a un droit de regard sur son contenu par le biais du droit à la confidentialité et du droit à l’accès.

La confidentialité du dossier du client

La règle de la confidentialité du dossier du client prend une dimension toute particulière lorsqu’il est question de transférer une partie ou la totalité de l’information contenue au dossier à l’extérieur de l’établissement.

L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux énonce clairement que le dossier d’un usager est confidentiel et que nul ne peut y avoir accès « sans consentement ». Ce principe s’applique à tous les établissements et à tous les professionnels qui ont accès au dossier dans le cadre de leurs fonctions et quel que soit leur statut.

Le droit à la confidentialité porte donc sur les informations recueillies du client et sur les opinions ou diagnostics sur le patient que possèdent les professionnels et ceux qu’ils inscrivent à leurs dossiers, que ce soit en cabinet ou en établissement. Il est à noter que les informations concernent tout autant les données écrites, qu’elles soient brutes ou interprétées, les clichés radiographiques et dessins ainsi que les rapports de toute sorte.

L'accès au dossier

Bien que le patient ne soit pas le propriétaire du dossier physique, il n’en demeure pas moins qu’on lui reconnaît un droit vital sur l’information contenue dans son dossier professionnel, tel que le précise la Cour suprême dans l’affaire McInerney.

Ce principe est aussi reconnu dans notre droit civil, où on précise que : « toute personne […] peut consulter […] un dossier qu’une autre personne détient sur elle » (art. 38 du Code civil du Québec).

Quoi qu’il s’agisse d’un principe général, on note l’existence de certaines exceptions. Par exemple, le mineur de moins de 14 ans ne peut avoir accès à son dossier médical (art. 20 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux). Cette exception est tempérée par l’article 21 de cette même Loi, qui spécifie que la restriction au droit d’accès « n’a pas pour objet de restreindre les communications normales entre un usager mineur et un professionnel de la santé et des services sociaux ou un employé d’un établissement ».

Notons également que le Code des professions précise que le client a accès à son dossier et aux renseignements qu’il contient sauf si leur divulgation entraînerait vraisemblablement un préjudice grave pour le client ou un tiers (art. 60.5). La Loi sur la santé et les services sociaux comporte une disposition similaire lorsque la communication pourrait causer un préjudice grave à la santé de l’usager (art. 17).

Le transfert du dossier

Qu’on se situe dans le secteur public ou dans le secteur privé, il n’est pas rare qu’un professionnel de la santé veuille prendre l’avis d’un professionnel dans un autre domaine pour s’assurer de la justesse d’une évaluation ou même de référer son client pour des soins qui dépassent sa propre compétence. Ceci implique une transmission ou communication d’information du dossier professionnel.

Le virage ambulatoire a multiplié les cas de transfert de dossier, par exemple du centre hospitalier vers le CLSC. En tant que fiduciaires du contenu du dossier, le professionnel et l’établissement ont l’obligation de mettre sur pied des mécanismes internes efficaces favorisant une transmission d’information rapide respectant les droits du client et avec son consentement.

D’une manière générale, le client peut autoriser la transmission de son dossier à une tierce personne, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale. Étant le titulaire du droit à la confidentialité, il est aussi libre d’y renoncer dans la mesure qu’il le juge nécessaire.

Lorsque le client autorise la communication d’informations confidentielles, par exemple vers un autre établissement, il devrait être informé, autant que possible, de l’identité du professionnel à qui l’information sera communiquée et à quelle fin celle-ci sera utilisée.

Le client a le droit d’exiger que l’établissement ou son professionnel de la santé traitant fasse parvenir une copie, un extrait ou un résumé de son dossier aux parties qu’il désigne.

Le Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements crée une obligation de faire parvenir un sommaire des données pertinentes à l’institution où est transféré le client, dans les 72 heures suivant son transfert. Nous entendons par « sommaire » tous les documents nécessaires pour assurer la continuité des services et pour apporter un éclairage d’ensemble sur l’état du client. Il est donc de pratique courante de transmettre une copie du dossier complet.

Les exceptions au principe du consentement du client

Comme nous avons pu le voir, les droits reconnus au client concernant le dossier professionnel font de ce dernier un acteur apparemment incontournable lorsqu’il est question d’accès ou de transfert de dossier ou d’information contenue au dossier.

En tant que gardiens ou fiduciaires du dossier professionnel, tant l’établissement que le professionnel doivent s’assurer que la personne qui a un « intérêt vital » sur l’information contenue au dossier, c’est-à-dire le client, consente à ce que cette information soit connue de tiers.

Il existe cependant bon nombre d’exceptions permettant la divulgation de cette information confidentielle sans le consentement du client. Le cadre du présent article ne nous permet pas de les aborder de façon détaillée.

Les situations suivantes constituent des exceptions au principe de non-divulgation lorsqu’elles se présentent : 

  • Dans un cas d’urgence, pour éviter un préjudice grave au client;
  • Dans un but de recherche, d’étude ou d’enseignement (sous réserve des autorisations requises par la loi);
  • Dans un but administratif et de contrôle de l’application de certaines lois.

Précisons que la divulgation du dossier professionnel au comité d’inspection professionnelle, au comité de discipline ou au syndic de l’Ordre constitue une exception se situant à la fois dans la catégorie du contrôle externe et également dans le cadre de l’application d’une loi (art. 122 et 192 du Code des professions).

En ce qui concerne les lois qui autorisent la divulgation nonobstant le secret professionnel, on peut citer également la Loi sur la protection de la jeunesse, qui oblige un signalement par tout professionnel à la Direction de la protection de la jeunesse lorsqu’il a un motif raisonnable de croire que « la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis ». Mentionnons également le Code de la sécurité routière (art. 603), qui permet à l’ergothérapeute qui juge que son client est inapte à conduire un véhicule de divulguer certaines informations à la Société de l’assurance automobile du Québec. Mentionnons finalement la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (L.R.Q., c A-2.1), qui précise à son article 67 qu’un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement nominatif à toute personne ou organisme si cette communication est nécessaire à l’application d’une loi du Québec. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (L.R.Q., c. P-39.1), contient une disposition similaire à son article 18.

Conclusion

La problématique de la transmission de l’information confidentielle n’a été ici que dessinée à grands traits, puisqu’il s’agit d’un champ d’étude vaste et complexe. Il s’agit en définitive d’une question se situant au coeur des obligations déontologiques des ergothérapeutes, qu’ils oeuvrent au sein du secteur privé ou du secteur public.

Pour le client, la question est primordiale, car il est en droit de s’attendre au respect des règles de confidentialité, sauf lorsqu’il y consent ou lorsque la loi le permet ou l’exige.

L’ergothérapeute ne devrait pas hésiter à pousser plus loin ses recherches et requérir, le cas échéant, l’assistance de personnes susceptibles de l’éclairer, incluant les personnes ressources à l’intérieur de l’établissement où il exerce.

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