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Quelques repères pour évaluer adéquatement le fonctionnement des personnes aux prises avec un trouble mental

Catherine Vallée, erg., Ph. D., Université Laval et Julie Desrosiers, erg., Ph. D. (cand.), Haute école de travail social et de la santé, Lausanne

L a cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) recommande de s’appuyer davantage sur l’évaluation du fonctionnement de la personne en vue d’établir le diagnostic d’une diversité de troubles mentaux. En effet, le diagnostic de plusieurs troubles mentaux courants repose en partie sur une évaluation des patrons occupationnels. Dans d’autres cas, l’évaluation fonctionnelle est critique pour déterminer la sévérité du trouble, marquée par des difficultés à réaliser des activités instrumentales complexes (ex. troubles neurocognitifs). Les ergothérapeutes ont un rôle important à jouer à cet  égard, de par leur champ d’exercices et les actes qui leur sont réservés.

En effet, les évaluations fonctionnelles produites par les ergothérapeutes sont de plus en plus considérées dans des contextes où des droits ou privilèges du client peuvent être en jeu, tel l’accès à des programmes, la trajectoire de réadaptation socioprofessionnelle en présence d’un tiers payeur, le traitement de demandes d’indemnisations, l’établissement de régimes de protection ou le maintien à domicile. Dans ce contexte, il importe de rappeler quelques repères associés à une bonne évaluation fonctionnelle.

Tout d’abord, il faut prévoir une stratégie d’évaluation qui permettra de bien trianguler les données pour mieux statuer sur la capacité d’une personne à réaliser ses activités de la vie courante ou des activités instrumentales complexes. Il ne suffit plus de bien saisir la nature des difficultés pour inférer les retombées fonctionnelles. Un nombre croissant d’études souligne que la nature de plusieurs symptômes ne permet pas d’inférer le pronostic fonctionnel ; de plus, l’amélioration des symptômes ne se traduit pas nécessairement par une amélioration du fonctionnement. Si des méthodes d’évaluation comme les questionnaires ou les entrevues peuvent jeter un éclairage pertinent à l’appréciation du fonctionnement, elles ne constituent pas une modalité suffisante pour statuer sur ce dernier. L’ergothérapeute doit aussi observer la personne en action, que ce soit par le biais d’observations in situ, de mises en situation ou le recours à des outils permettant d’observer les interférences des dysfonctions sur le fonctionnement (évaluations top-down). 

Lors de l’évaluation fonctionnelle, les ergothérapeutes doivent considérer les caractéristiques de la tâche (ex. : familiarité, complexité, exigences associées), mais également les variables environnementales et contextuelles qui peuvent faciliter ou entraver le rendement. Les observations doivent être contextualisées. Une attention doit être dévolue aux stratégies adaptatives qu’utilise la personne et aux mesures de soutien présentes ou susceptibles d’influencer le rendement occupationnel. Il est en effet tout aussi important de relever les forces et les ressources que les difficultés ou l’interférence des symptômes. 

Le DSM-5 recommande le recours au questionnaire WHODAS 2.0 pour apprécier le fonctionnement : non seulement est-il insuffisant, mais les recommandations qu’offre le DSM-5 sur son utilisation sont préoccupantes. Par conséquent, les ergothérapeutes se doivent de bien le connaître, de même que les études sur ses qualités métrologiques, afin de ne pas l’utiliser de manière inappropriée. Il en va de même pour tous les outils qu’utilisent les ergothérapeutes : il leur faut bien connaître les forces et les limites des outils utilisés afin de mieux expliciter les limites de leur analyse. Si le contexte ne permet pas d’évaluer de manière suffisante le fonctionnement de la personne, l’ergothérapeute se doit de nuancer son analyse et ses conclusions en conséquence, afin d’éviter de fâcheuses inférences ou de porter préjudice à son client. Ces quelques repères rappellent l’importance pour les ergothérapeutes oeuvrant auprès de personnes aux prises avec des troubles mentaux de privilégier une approche fondée sur l’occupation, qui tient compte de l’environnement et du contexte.