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Ergothérapeute dans une équipe de suivi dans la communauté en santé mentale: un défi!

DANS UN SOUCI DE SE RAPPROCHER DAVANTAGE DE LA RÉALITÉ CLINIQUE ET DE FAVORISER LE PARTAGE DE DIVERSES PRATIQUES, L’OEQ PROPOSE, PAR L’INTERMÉDIAIRE DE L’OCCUPATION : ERGOTHÉRAPEUTE, UNE TRIBUNE POUR LES CLINICIENS. 1ER DE 2 ARTICLES.

Julie Rousseau, ergothérapeute au CISSS de l’Outaouais, Emmanuelle Seery, ergothérapeute et conseillère aux établissements (volet Premiers épisodes psychotiques, MSSS), Geneviève Dufour, ergothérapeute au CISSS de Lanaudière, Judith Fournier, ergothérapeute au CISSS de l’Outaouais.

L’ expérience des ergothérapeutes ayant déjà travaillé ou travaillant présentement en santé mentale au sein d’une équipe de suivi dans la communauté révèle qu’il est parfois difficile de concilier les rôles relatifs à l’équipe et ceux relatifs à la profession d’ergothérapeute. Dans cette situation, l’ergothérapeute est confronté à de nombreux défis et se pose de nombreuses questions. C’est souvent ce qui se produit lorsque les ergothérapeutes œuvrent dans des équipes de Suivi intensif dans le milieu (SIM), de Soutien d’intensité variable (SIV), de Suivi d’intensité flexible (SIF) et de Premiers épisodes psychotiques (PEP); comme on le sait, ces équipes offrent toutes des services à des usagers ayant des troubles mentaux sévères et persistants.

Bien qu’embauchés selon leurs titres professionnels respectifs (p. ex.: ergothérapeute), les membres de ces équipes occupent principalement un rôle d’intervenant (p. ex.: intervenant SIM, intervenant pivot SIV ou PEP). Or, les règles de ces équipes laissent plus ou moins de place au rôle professionnel de l’ergothérapeute. En effet, la pratique SIM permet plus facilement aux ergothérapeutes de jouer leur rôle que la pratique SIV, alors que le SIF et le PEP se situent entre les deux. Dans ces conditions, comment distinguer le rôle d’intervenant de celui d’ergothérapeute? Comment passer d’un rôle à l’autre ou jumeler les deux rôles? Comment l’ergothérapeute peut-il contribuer à l’équipe en jouant pleinement son rôle? Comment faciliter cette contribution afin d’optimiser sa participation et en faire bénéficier un plus grand nombre d’usagers ? Bref, comment permettre aux ergothérapeutes œuvrant dans ces équipes, de se retrouver dans l'exercice de leur profession?

Convaincues que l’apport de l’ergothérapeute dans les équipes de suivi dans la communauté en santé mentale est unique et important, les auteures souhaitent dans ce premier article partager avec leurs pairs les difficultés de la pratique de l’ergothérapeute dans ces équipes,favoriser une réflexion commune et ouvrir un dialogue.Dans un second article, elles aborderont les enjeux de la tenue de dossiers de l’ergothérapeute dans ces équipes.

Distinguer les processus cliniques

Il importe de bien distinguer les deux processus cliniques illustrés ci-dessous afin d’une part, d’offrir les services les mieux adaptés aux besoins des usagers et d’autre part, de s’assurer de respecter les normes et règles respectives à chacun.

Le processus clinique de l’équipe

Ce processus est commun à tous les membres de l’équipe SIM, SIV, SIF ou PEP. Il doit faire ressortir les besoins de l’usager et permettre des interventions visant le rétablissement. Le plan d’intervention peut être écrit dans les mots du client. Le respect du processus clinique de l’équipe est habituellement vérifié par les CISSS/CIUSSS ou le MSSS.

Le processus clinique ergothérapique

Ce processus est spécifique à l’ergothérapeute qui doit se conformer aux normes en vigueur dans la profession. La demande de services peut provenir de l’équipe ou de soi-même dans le contexte où l’usager serait déjà connu (l’ergothérapeute jouant le rôle d’intervenant). Le plan d’intervention doit ici respecter le vocabulaire ergothérapique. Le respect des normes du processus clinique ergothérapique est vérifié par l’OEQ dans le cadre de l’inspection professionnelle. 

Réflexion d’une ergothérapeute sur les processus

«En tant qu’intervenante au sein de l’équipe, je réalise un processus clinique selon le modèle de l’équipe, en étant guidée par mes “lunettes ergothérapiques”. Je me dois de développer une identité professionnelle forte afin de faire valoirmon point de vue ergothérapique auprès de l’équipe. Cela peut se réaliser en participant à des formations, à des regroupements, des forums de discussions, etc. Ceci me permettra une implication plus spécifique auprès de mon équipe. Ainsi, durant les réunions d’équipe, je peux partager mes questionnements face aux enjeux occupationnels plus complexes ou récurrents. Par exemple, je peux faire ressortir les difficultés cognitives qui sont particulièrement présentes chez ces usagers. Je peux suggérer de dépister, documenter le fonctionnement ou proposer diverses stratégies (p. ex. : est-ce l’absence de motivation qui limite la participation du client à son suivi ou plutôt l’impact de ses difficultés cognitives? Le client est-il à la phase d’exploration de son environnement plutôt qu’à la phase de compétence [processus de remotivation]? Est-ce que cette activité revêt une importance suffisante pour y déployer autant d’efforts, devrait-on débuter l’activation autrement?).»

VIGNETTE QUI POSITIONNE L’ERGOTHÉRAPEUTE DANS SON RÔLE D’INTERVENANT DE L’ÉQUIPE

Julien a 20 ans et a reçu un diagnostic de psychose NS il y a 12 mois, mais n’a jamais accepté de services d’une équipe en santé mentale ni la médication. Il vient d’être réhospitalisé quelques jours, amené par les policiers qui ont trouvé son discours désorganisé lors d’une interpellation pour menaces proférées envers des membres de sa famille et des amis. Julien devra faire face à des poursuites judiciaires. Actuellement, il est sans emploi. Il a perdu toutes ses cartes lors d’un séjour de camping méditatif qu’il a improvisé dans un parc national le mois dernier. À son congé de l’hôpital, il ira vivre dans un appartement supervisé et il est référé à votre équipe. Puisque votre charge de cas n’est pas complète et que vous êtes un habitué du camping, votre chef d’équipe vous recommande Julien. Vous êtes alors interpellé comme intervenant de l’équipe et non comme ergothérapeute.

Réaliser un processus clinique ergothérapique dans les équipes SIM, SIV, SIF ou PEP

Il est fréquent de constater que les nombreux enjeux psychosociaux des usagers des équipes SIM, SIV, SIF et PEP attirent l’ergothérapeute dans plusieurs directions. Il devient alors essentiel de prendre un temps d’arrêt pour se demander s’il est pertinent d’offrir un suivi en ergothérapie en complément au suivi de l’équipe. Ainsi, il importe de comprendre qu’à tout moment du processus clinique de l’équipe, l’identification de besoins en ergothérapie peut mener à un processus ergothérapique qui sera réalisé à même l’équipe SIM, SIV, SIF ou PEP. Les impacts fonctionnels de l’inaptitude (suspectée ou confirmée) ou la présence d’enjeux occupationnels complexes ou récurrents sont des exemples de besoins pouvant indiquer la pertinence d’un suivi en ergothérapie.

Deux éléments sont essentiels à considérer lors du passage au processus clinique ergothérapique. Premièrement, le client doit accepter cette démarche en ergothérapie en complémentarité au suivi offert par l’équipe SIM, SIV, SIF ou PEP. Deuxièmement, si le mandat est d’entreprendre un processus de réadaptation, on doit s’assurer que le client soit suffisamment stable pour y participer.

Afin de faciliter la transition entre le rôle d’intervenant et celui d’ergothérapeute, des stratégies peuvent être utiles. Tout d’abord, il est pertinent de confirmerle besoinde services en ergothérapie par une discussion d’équipe. Cette entente avec l’équipe permet également de dégager du temps en ergothérapie pour l’évaluation et la rédaction du rapport. En effet, ces étapes sont habituellement plus longues dans le cadre du processus clinique ergothérapique que du processus clinique de l’équipe. Les auteures encouragent les ergothérapeutes à expliquer à l’équipe que le temps investi en ergothérapie, en ciblant précisément une difficulté et ne traitant que celle-ci, sera en fin de compte récupéré étant donné les retombées positives du processus. Parmi celles-ci, nous pouvons identifier une meilleure utilisation du temps consacré à l’usager, une diminution de la durée des épisodes de services et le fait d’éviter de fermer prématurément un épisode de services chez une personne qui présente encore des besoins.

Par ailleurs, diriger un usager en ergothérapie peut s’accompagner, ou non, d’une requête de services en ergothérapie rédigée par un membre de l’équipe. Ceci permet d’établir une liste d’attente, de prioriser les requêtes reçues et de recadrer le mandat.

Enfin, recourir à un outil de gestion de charge de travail (caseload) pour départager les dossiers en ergothérapie de ceux d’intervenant est également pertinent.

Pour conclure, n’hésitez pas à signaler aux gestionnaires et aux coordonnateurs les entraves à la réalisation d’un processus en ergothérapie afin d’obtenir leur soutien (p. ex. : allocation de temps). Le but est de favoriser un contexte de réadaptation dont plusieurs usagers ont besoin.

VIGNETTE QUI POSITIONNE L’ERGOTHÉRAPEUTE DANS SON RÔLE D’ERGOTHÉRAPEUTE

Lors de la révision de son plan d’intervention, Julien vous informe qu’il désire retourner aux études afin d’obtenir un DEP en soudure. Il a démontré une plus grande stabilité dans les derniers mois, conservant son appartement et se présentant avec assiduité à ses rendez-vous pour sa médication. Il se sent toutefois anxieux face au retour aux études, car il a de la difficulté à se concentrer et à s’organiser dans son quotidien. Vous convenez alors de passer du processus clinique de l’équipe au processus clinique ergothérapique afin d’évaluer l’impact de ses difficultés sur un retour éventuel aux études.

 Quelques règles de pratique pour faciliter la réalisation d’un processus clinique ergothérapique

  • Avoir une demande de services claire et précise et s’assurer que celle-ci soit bien cadrée avec le besoin;
  • Pour débuter la collecte de données requise au processus ergothérapique, il est possible d’utiliser les données préalablement obtenues dans le cadre du processus clinique de l’équipe (p. ex.: collecte de données initiale, observations documentées au dossier). Il n’est pas requis de colliger à nouveau les données déjà recueillies: il suffit d’indiquer clairement les sources d’informations utilisées;
  • S’assurer que l’analyse réponde à la demande de services;
  • Utiliser des outils de rédaction et des modèles théoriques qui permettent de rendre compte de la démarche de façon claire et concise;
  • Faire attention de ne pas documenter les aspects qui ne sont pas requis pour répondre à la demande de services; 
  • Se permettre de suspendre le processus ergothérapique en raison d’une situation de crise. Il suffit alors d’en rendre compte clairement au dossier.

Quand et comment conclure un processus clinique en ergothérapie?

Lorsqu’un plateau thérapeutique est atteint ou que les objectifs en ergothérapie sont atteints, il est nécessaire de conclure le processus clinique en ergothérapie. Si des besoins liés au mandat de l’équipe sont encore présents, ils seront examinés à titre d’intervenant et traités dans le cadre du processus clinique de l’équipe. C’est le cas lorsque les objectifs d’interventions sont atteints dans le processus clinique ergothérapique, mais que la phase de soutien doit être assumée parl’équipe ou qu’un filet de sécurité s’avère nécessaire pour maintenir les acquis ou prévenir les rechutes.

En conclusion, bien que chaque ergothérapeute qui exerce dans ces équipes conserve ses lunettes ergothérapiques en tout temps (il arrive même de les conserver en dehors du travail, comme dans les loisirs !) et que celles-ci sont essentielles pour identifier les besoins occupationnels, il importe de bien distinguer les deux processus cliniques. Cela permet ensuite de rester centré sur le type de processus clinique choisi afin, d’une part, d’informer le client à quel titre on agit (intervenant ou ergothérapeute) et d’autre part, d’en rendre compte au dossier* et d’ajuster la signature en conséquence (p. ex.: Mme Unetelle, erg. ou Mme Unetelle, erg., intervenante SIM). Nous espérons que le partage de ces réflexions et conseils inspirera et sera utile. Dans l’éventualité où des enjeux ou obstacles demeureraient, les ergothérapeutes sont invités à en faire part à l’Ordre.

Bonne réflexion et au plaisir d’échanger avec les collègues!

QUELLES SONT LES EXIGENCES DE L’OEQ LORS DE L’INSPECTION PROFESSIONNELLE?

Actuellement, l’inspection professionnelle porte sur l’application des normes en ergothérapie et la conformité au processus clinique ergothérapique. Les dossiers analysés durant le processus d’inspection professionnelle doivent être représentatifs de votre pratique actuelle et rendre compte d’une intervention complète selon votre secteur d’activité. La portion du dossier qui relève du processus clinique en ergothérapie est la partie concernée par le processus d’inspection et non l’ensemble du dossier de l’usager. À cet effet, il est important de s’assurer que ces deux portions du dossier clinique soient distinctes.

* Voir l’article «Titre professionnel, titre d’emploi et rôle professionnel : les différences», Ergothérapie Express, Ordre des ergothérapeutes du Québec, juin 2010.