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Secteur privé : règles d’accès au dossier dans le cas d’un tiers payeur demandeur de service

Les tiers payeurs demandeurs de service demandent souvent aux ergothérapeutes du secteur privé que ces derniers ne donnent pas accès au dossier à la personne qui fait l’objet du service sans leur autorisation. La doctrine et la jurisprudence récentes nous indiquent que dans certaines situations, ils sont effectivement en droit de refuser l’accès puisque le demandeur de service a droit au respect de son secret professionnel1.

L’objet de cet article vise à clarifier, à la lumière de l’état actuel du droit, cette règle d’exception concernant le droit d’accès au dossier en présence d’un tiers payeur demandeur de service.

Le droit d’accès prévu au Code civil du Québec établit que la personne détenant un dossier sur une autre personne ne peut lui refuser l’accès aux renseignements personnels contenus dans ce dossier, sauf s’il y a une raison sérieuse ou légitime de le faire ou que ces renseignements risquent de nuire à un tiers2. De façon spécifique au secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (ci-après LPRPSP) reprend cette règle générale3; l’article 2 de cette loi définit les renseignements personnels comme tous renseignements qui regardent une personne physique et permettent de l’identifier4. Les renseignements personnels peuvent avoir trait aux habiletés personnelles et aux capacités mentales. Ils englobent aussi tout ce qui fait partie de l’histoire de la personne, les renseignements relatifs à l’état de santé, à la situation financière, au travail, aux études académiques et à la situation familiale et sociale5.

Cette loi prévoit expressément certaines exceptions à la règle6 et énonce les situations où le détenteur du dossier peut refuser l’accès ou, dans certains cas, doit refuser l’accès. Par exemple, la LPRPSP précise qu’une personne qui exploite une entreprise de services professionnels dans le domaine de la santé peut refuser momentanément à une personne concernée la consultation d’un dossier qu’elle a constitué sur elle dans le seul cas où, de l’avis d’un professionnel de la santé, il en résulterait un préjudice grave pour sa santé7.

L’article 58 du Code de déontologie des ergothérapeutes renvoie à la LPRPSP quant aux conditions et modalités d’exercice du droit d’accès au dossier et de rectification de ce dernier8. Par conséquent, ces règles établies dans la LPRPSP sur les droits d’accès et de rectification s’imposent aux ergothérapeutes comme une règle déontologique. Bien que la LPRPSP soit très explicite quant au droit d’accès au dossier, celle-ci ne peut être appliquée dans le cas où le demandeur de service est un tiers payeur puisque son droit au secret professionnel prévaut.

Aussi, faut-il le rappeler, le secret professionnel est protégé par la Charte, qui édicte : « Chacun a droit au secret professionnel. Toute personne tenue par la loi du secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qu’on leur a divulgués en raison de leur état ou profession, à moins que la personne qui leur a fait ces confidences ou une disposition expresse de la loi les y autorise. Le tribunal doit d’office assurer le secret professionnel. » Le secret professionnel, du fait qu’il est protégé par la Charte, a donc prépondérance sur toute autre loi.

De plus, l’article 60.4 du Code des professions impose le respect du secret professionnel à tous les professionnels régis par cette loi. Cette obligation est aussi reprise dans le Code de déontologie des ergothérapeutes, où l’article 48 réitère cette obligation. Par conséquent, lorsque le secret professionnel prévaut, l’ergothérapeute mandaté par un demandeur ne peut pas communiquer à la personne qui a fait l’objet du service le dossier constitué dans le cadre de son mandat, à moins que et seulement si le mandataire en question ou une disposition expresse de la loi l’y autorise. De plus, la jurisprudence de la Commission de l’accès à l’information (CAI) confirme cette limitation du droit d’accès. Pour ce tribunal responsable de l’application de la loi, le demandeur de service est le client, donc est bénéficiaire du secret professionnel9. C’est pourquoi, pour la situation qui nous concerne, le droit d’accès doit céder le pas au secret professionnel. Cette exception s’applique à deux conditions : le professionnel est régi par le Code des professions et ce service s’inscrit dans le cadre d’une relation d’aide. Par contre, l’ergothérapeute doit, préalablement au consentement du client qui fait l’objet du service, inclure l’information relative à son droit d’accès au dossier, c’est-à-dire qu’il relève exclusivement du demandeur tiers payeur. Ainsi, dans le cas d’une demande d’accès écrite par la personne qui a fait l’objet du service, l’ergothérapeute mandaté par le demandeur doit diriger la demande à celui-ci, et c’est ce dernier qui pourra faire valoir ses droits10.

Enfin, compte tenu des décisions de la CAI, cette limitation du droit d’accès s’applique seulement dans le cas d’une demande d’expertise ou d’opinion auprès du professionnel.

1. Ariane LECLERC-FORTIN, et Jean-François LECOURS, « Tout ce qu’il faut savoir en matière d’emploi — Volet II : Droit d’accès de l’employé à ses renseignements personnels », dans Service de la formation continue, 2014, Barreau du Québec, Vol. 392, Développements récents, Éditions Yvon Blais, 2014, à la page 323; Richard c. Gauthier, 2015 QCCQ 921 par. 32
2. Code civil du Québec, RLRQ c -1991, art. 39
3. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur ci-après cité «LRPSP» L.R.Q., c 39.1 art. 27
4. LPRPSP., art. 2
5. A. Leclerc-Fortin et J-F. Lecours, loc. cit., note 1, p. 313-314
6. LPRPSP., art. 37 à 41
7. LPRPSP., art. 37, al. 1
8. Code de déontologie des ergothérapeutes du Québec, chapitre C-26, r. 113.01, art. 48
9. Charte des lois et libertés, RLRQ c C-1991, art.9
10. F.G c. Aubut, 2014 QCCAI 155; M.G. c. Québec (Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs) 2013 QCCAI 25; M.G. c Gagnon, 2013 QCCAI 126; M.G. c. Bureau d’évaluation psychologique, 2013 QCCAI 132; E.R. c. Gauthier, 2013 QCCAI 284; Richard c. Gauthier précité note 1
11. Voir notamment : André LAPORTE et Christiane LAVALLÉE: « Les règles de l’art de l’expertise médico-légale : portée et conséquences », dans service de la formation continue, 2015, Barreau du Québec, Vol. 398, Développements récents, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 78 à 90.

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