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Choisir les instruments de mesure : impact sur l’analyse des résultats de l’évaluation

Les ergothérapeutes utilisent des instruments de mesure dans leur pratique afin de recueillir des informations permettant de décrire la situation problématique du client ainsi que l’élaboration et la modification d’un plan d’intervention. Ils doivent donc être en mesure d’analyser les résultats obtenus à la suite de l’administration de ces outils. Tel qu’il fut mentionné dans l’article du numéro précédent d’Ergothérapie express, le choix d’un instrument de mesure exige une démarche rigoureuse. L’ergothérapeute ayant choisi un instrument de mesure pertinent pour sa clientèle et adéquat en fonction de son contexte de pratique pourra beaucoup plus facilement interpréter les résultats obtenus et émettre des hypothèses ou des recommandations en lien avec ces résultats. Pour ce faire, l’ergothérapeute doit toutefois : 1) avoir une bonne connaissance de ce qui est mesuré par l’instrument de mesure ; 2) interpréter les résultats en tenant compte des caractéristiques de l’instrument et de ses qualités métrologiques ; et 3) faire une analyse en tenant compte du contexte et en utilisant la triangulation des données.

Afin d’avoir une bonne connaissance de l’instrument de mesure qu’il utilise, l’ergothérapeute doit comprendre le concept qui est mesuré par l’outil et connaître les bases théoriques sur lesquelles repose le contenu de l’instrument. Sans cette connaissance, il est impossible pour lui de donner un sens aux résultats obtenus. Par exemple, un ergothérapeute utilisant la Mesure canadienne du rendement occupationnel (MCRO) doit, afin d’interpréter les résultats de son évaluation, bien comprendre que cet outil permet de recueillir des informations sur le degré de performance perçu par le client ainsi que sur son degré de satisfaction vis-à-vis de la réalisation de ses activités quotidiennes. Les informations recueillies sont donc très différentes de celles qu’il aurait obtenues en administrant un outil tel que le Assessment of Motor and Process Skills (AMPS) ou la Mesure de l’indépendance fonctionnelle (MIF), qui permettent d’observer la performance du client et non de recueillir ses perceptions. Un ergothérapeute utilisant les résultats de la MCRO pour émettre des conclusions sur le degré de performance réel d’un client fait une mauvaise interprétation des résultats alors que celui qui utilise ces résultats pour identifier les besoins perçus par le client ou le changement perçu dans son rendement occupationnel en fait une bonne interprétation.

Par ailleurs, l’ergothérapeute doit tenir compte des caractéristiques de l’instrument de mesure qu’il utilise afin de ne pas émettre des conclusions ne respectant pas les buts de l’outil et ses qualités métrologiques. Par exemple, il n’est pas possible de porter un jugement sur les fonctions cognitives d’un individu en se fiant simplement au score obtenu au Mini Mental State Examination (MMSE), qui est un outil de dépistage et pour lequel un score faible indique plutôt la recommandation d’effectuer une évaluation plus approfondie. De plus, un ergothérapeute ne devrait pas hâtivement conclure que l’état d’un individu a changé seulement parce que le score obtenu à un instrument de mesure s’est amélioré ou détérioré entre deux évaluations. Il doit d’abord tenir compte de la fidélité test-retest de l’outil, soit sa stabilité dans le temps, ainsi que de sa sensibilité au changement. Si l’outil possède ces qua lités métrologiques, il est de plus important de savoir quel changement doit être observé dans le score de l’instrument afin que celui-ci représente un changement clinique significatif. Par exemple, un changement minimum de 5 points doit être obtenu au Questionnaire Roland-Morris afin d’indiquer que la perception du statut fonctionnel d’un individu ayant un mal de dos a changé. Une diminution ou une augmentation de 2 ou 3 points n’est pas suffisante.

Finalement, il est très important de rapporter les résultats obtenus à la suite de l’administration d’instruments de mesure en tenant compte de l’ensemble des informations qui ont été recueillies auprès du client. Ces informations concernent les caractéristiques personnelles ainsi que les caractéristiques de l’environnement et du contexte dans lequel l’évaluation a été réalisée. Ce processus s’appelle la triangulation des données. La triangulation consiste à utiliser des données qui proviennent de différentes sources d’information afin de s’assurer de leur validité et d’en faire une meilleure analyse. Ainsi, lorsque l’ergothérapeute analyse les résultats d’un instrument de mesure, il doit mettre ceux-ci en relation avec l’âge du client, son problème de santé, ses différences culturelles, etc. Il doit donc tenir compte des différents facteurs extérieurs qui permettent d’expliquer le score obtenu. Par exemple, si un ergothérapeute évalue les capacités fonctionnelles d’un homme âgé à l’aide du AMPS et lui demande de préparer un repas, il doit tenir compte dans son analyse du degré de familiarité que le client avait avec la tâche à réaliser, surtout si cette tâche est généralement effectuée par sa conjointe. Il est aussi possible que l’ergothérapeute ne soit pas immédiatement capable d’analyser les résultats obtenus. Il peut devoir recueillir des informations supplémentaires concernant le client ou son environnement avant d’être en mesure de le faire. Dans une situation qui lui est moins familière, il peut aussi avoir besoin de mettre à jour ses connaissances théoriques en consultant un livre, un article, Internet ou un collègue de travail afin d’effectuer une bonne analyse. Une mauvaise analyse peut amener l’ergothérapeute à émettre des recommandations inexactes ou confuses à propos de la situation problématique d’un client et de ses impacts. Ces recommandations peuvent, dans certains cas, causer un préjudice au client en limitant, par exemple, l’accès à des services ou à des ressources ou avoir un impact sur l’exercice de droits ou de privilèges tels que l’intégration au travail, le maintien d’un permis de conduire ou l’aptitude à prendre soin de sa personne ou à gérer ses biens.

Ainsi, afin de démontrer sa compétence à procéder à l’évaluation de ses clients, l’ergothérapeute doit être en mesure de faire un choix judicieux des instruments qu’il utilise dans sa pratique et démontrer les habiletés nécessaires à l’analyse des résultats. Ces habiletés se développent et se raffinent tout au long de la pratique et sont le reflet de l’expertise et du jugement professionnel de l’ergothérapeute.

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